La pandémie du coronavirus a réussi à ralentir les dynamiques du monde
contemporain qui semblaient jusqu’ici inarrêtable. La consommation, le commerce, les flux de personnes et de marchandises ont été réduit au minimum nécessaire. Le coronavirus a interrompu le cours habituel des choses ; il est l’événement qui interroge, à juste titre, aussi bien les sciences dures que les sciences sociales. La crise sanitaire que nous sommes en train de vivre peut aussi permettre de faire sens des expériences du passé récent qu’on avait jusqu’ici mal à comprendre.

Un grand nombre de gouvernements a eu recours à la législation d’exception pour ralentir le développement de l’épidémie. Dans les deux dernières décennies, l’état d’exception était principalement associé aux politiques antiterroristes mises en place après les attentats du 11 septembre. En France, l’état d’urgence sanitaire, crée ad-hoc dans une procédure expéditive, à suivi à l’état d’urgence décrété après les attentats du 13 novembre 2015. Les dispositions de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ont été en grand nombre incorporées dans le droit commun à l’automne 2017, lors de la levée du régime d’exception.

Les législations d’exception tendent à se normaliser. La nouvelle vague de la législation d’exception, sanitaire cette fois-ci, éclaire sous un nouveau jour l’état d’exception antiterroriste. L’exceptionnalisme propose une lecture de la politique contemporaine sous l’angle du conflit entre l’État de droit et l’arbitraire de l’exécutif, actualisé par l’état d’exception. Pour Giorgio Agamben, l’auteur de la thèse de l’état d’exception devenu le
nouveau paradigme de la politique mondiale, les efforts étatiques endiguer la maladie, sont frénétiques, irrationnels et totalement injustifiés. Selon le philosophe l’épidémie, artificiellement érigée en crise, tout comme le terrorisme l’a été avant, sert aux gouvernements de prétexte pour la limitation de la liberté. Elle serait acceptée au nom d’un désir de sécurité, induit par ces mêmes gouvernements.

L’état d’urgence terroriste et l’état d’urgence sanitaire participeraient donc à la même dynamique. Dans cette perspective, l’État tend toujours à augmenter son emprise sur les citoyens, il cherche à étouffer l’espace qui lui échappe. Le terrorisme, le coronavirus seraient donc de l’incertitude fabriquée artificiellement par l’État, pour qu’il puisse ensuite lui-même
l’éliminer et, au passage, s’emparer des nouveaux pouvoirs – véritable dessein de l’entreprise. Une telle vision suppose que l’État est une entité unie est cohérente, dotée d’une rationalité qui lui est propre.

Or, cela n’a rien d’évident. L’État est constitué d’une multiplicité des cellules, bureaux, autorités, secrétariats qui poursuivent leurs propres objectifs ; on confond des organes de l’État avec des hommes concrets qui agissent à leur nom. L’instrumentalisation de la crise n’est pas non plus une stratégie politique efficace. Les crises testent la confiance des citoyens en leurs gouvernants ; souvent, leur légitimité n’en sort pas indemne. L’état d’urgence n’a pas empêcher l’attentat de Nice, le président de la République à inciter les Français à continuer à sortir avant de proclamer solennellement la guerre contre le virus. La cacophonie des messages contradictoires émanant des représentants de l’État instaure la méfiance envers l’action publique. Les situations extrêmes, telles qu’un ’attentat terroriste ou une épidémie, montrent que la rationalité de l’État contemporain est plus celle d’un bricolage hâtif que d’un dessein caché.

Les doléances d’hier sont les revendications d’aujourd’hui. On critique l’État fort dans son périmètre régalien et l’État affaibli par la financiarisation de l’économie. L’État pénal contre l’État social : le mouvement des gilets jaunes et les mobilisations contre la réforme de retraites démontrent que l’État renforce la répression tout en privatisant les services publics.

Les citoyens réclament qu’une logique inverse soit mise en place, l’épidémie en cours le monte bien.

État plus fort, État moins fort – aux sciences sociales d’expliquer, comment ces critiques, à premier égard contraires, s’articulent.

Escrito por Weronika Adamska, abogada y politóloga polaca, interesada en la Teoría del Estado y del Derecho. Actualmente estudia un máster de investigación en la Escuela de Estudios Superiores en Ciencias Sociales de París.