Emmanuel Macron s’est fait élire président de la République en revendiquant le dépassement de l’opposition gauche/droite. Renvoyant volontiers à l’étranger l’image d’un homme politique progressiste, sa politique intérieure est désormais ouvertement de droite. La polémique autour de « l’islamo-gauchisme » dans les universités françaises, lancée par la ministre de l’Enseignement supérieure Frédérique Vidal, est un symptôme flagrant de cette droitisation ouverte de la macronie.

« L’islamo-gauchisme gangrène la société… »

L’islamo-gauchisme : ce terme enflamme depuis quelques semaines le milieu académique en France. Le 14 février dernier, sur le plateau de CNews, chaîne réputé de droite, la ministre de l’Enseignement supérieur a été interrogée au sujet du dossier dans Le Figaro, fustigeant « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène les universités ». Frédérique Vidal a admis l’existence de ce phénomène : « Moi, je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » (https://www.soundofscience.fr/2648). Elle a notamment annoncé la commande d’une enquête sujet auprès du CNRS « sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ».

De quoi s’agit-il ? L « islamo-gauchisme » est une notion polémique qui ne renvoie à aucune réalité précise. Selon le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, elle s’appuierait sur un constat: le prolétariat disparu, la gauche révolutionnaire aurait fait des musulmans les nouveaux opprimés à libérer. L’ « islamo-gauchisme » reviendrait donc à une alliance entre Mao et l’ayatollah Khomeini.

La réalité de ce phénomène a été unanimement récusé par la communauté académique. La Conférence des présidents d’université, qui se tient d’habitude au-dessus de la mêlée politique, a appelé à « stopper la confusion et les polémiques stériles. Dans son communiqué, elle considère l’ « islamo-gauchisme » comme une pseudo-notion sans aucune définition scientifique. Il en va de même pour le CNRS pour lequel il s’agit d’un slogan politique qui sert à remettre en cause la liberté scientifique.

Malgré la vive opposition du monde académique, la ministre ne s’est pas excusée de ses prises de position lors de la séance des questions au gouvernement devant l’Assemblée nationale (sa volonté de mener une enquête sociologique au sein des universités dans un entretien dans Le Journal du Dimanche).

Les Français ont déjà eu le temps de s’habituer à la banalisation du terme. Fin novembre, deux députés du parti Les Républicains, Damien Abad et Julien Aubert ont demandé l’ouverture d’une mission d’information sur « les dérives idéologiques dans les milieux universitaires ». Ce premier est allé jusqu’à désigner des chercheurs « coupables » de l’ « islamo-gauchisme. De telle manière, comme le montre dans son enquête préliminaire, le chercheur David Chavalarias, les hommes politiques ont contribué à diffuser une notion dont l’usage restait jusqu’à peu réservé uniquement à l’extrême droite.

Un symptôme de la droitisation de la politique française

Cette polémique n’a rien de marginal. Au contraire, elle participe à la direction générale prise par la politique gouvernementale en France dans les derniers mois. D’une manière immédiate, elle s’inscrit dans le conflit entre le gouvernement et les chercheurs au sujet de Loi Pluriannuelle de Programmation de la Recherche (LPPR) qui vise à appliquer au monde de la recherche des standards de type économique, notamment la mise en place de tenure tracks.

D’un autre côté, il faut lire le débat sur l’ « islamo-gauchisme » comme l’effet d’une fixation de la politique française sur les sujets de sécurité et d’identité. Elle a été certainement intensifiée en octobre 2020, après l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire géographie qui a montré à ses élèves caricatures de Mahomet dans le cours d’une leçon consacrée à la liberté d’expression.

Cependant, la droitisation du discours politique en France est antérieure à cet événement. Au sein du gouvernement actuel, elle est principalement portée par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et ancien du parti conservateur Les Républicains. En été 2020, alors que les actes d’incivilité et d’agression étaient extensivement couverts dans une partie des médias conservateurs, il s’inquiétait de « l’ensauvagement d’une partie de la société ». Après l’assassinat de Samuel Paty, Darmanin a accusé certains rayons alimentaires dans les supermarchés (halal, casher) d’être en partie responsables du repli communautaire : « Ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir qu’il y avait un rayon de telle cuisine communautaire et de telle autre à côté […] C’est comme ça, que ça commence le communautarisme ».

Comment expliquer cette inflation du discours sécuritaire en pleine crise sanitaire ? Il semble qu’elle soit alimentée par des échéances électorales : les élections régionales en juin 2021, la présidentielle en 2022. Il devient de plus en plus clair que les Français auront à choisir entre la droite et la droite. Les électeur de gauche en sont exaspérés : le traditionnel « barrage républicain », qui consiste à voter contre le candidat du Rassemblement national dans le second tour de l’élection présidentielle, semble de plus en plus fragile. La répétition du duel Macron-Le Pen en 2022 semble très probable, mais son issue beaucoup plus incertaine qu’en 2017. Le « ni droite, ni gauche » de Macron deviendrait-il la passerelle vers la présidence de l’extrême droite ?

<strong>Weronika Adamska</strong>
Weronika Adamska

Abogada y politóloga polaca, interesada en la Teoría del Estado y del Derecho. Actualmente estudia un máster de investigación en la Escuela de Estudios Superiores en Ciencias Sociales de París.